La demande d’asile en France pour un ressortissant afghan n’est plus automatiquement acceptée.
Le 19 novembre 2020, la Grande formation de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) a rendu deux décisions permettant de préciser la démarche à suivre afin d’évaluer le niveau de violence généré par un conflit armé aux fins de la protection subsidiaire de l’article L.712-1 c) du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA).
Il s’agit d’un changement majeur de position de la CNDA.
La demande d’asile en France pour un ressortissant afghan n’est plus automatiquement acceptée, peut importe le fondement.
Dans les faits, deux requérants Afghans, M.M. et M.N., dont la demande d’asile a été refusée, demandaient l’annulation de la décision, sur deux fondements.
Le risque de persécution (art. 1A 2 de la Convention de Genève)
Ce texte prévoit qu’un individu doit être considéré comme réfugié lorsqu’il risque d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques et ne peut, de ce fait, retourner dans son pays d’origine sans craindre d’être persécuté.
En effet, les requérants, chacun pour des raisons différentes, se disent craindre d’être persécutés dans l’éventualité d’un retour dans leur pays d’origine.
Dans le cas de M.N, ses relations extra-conjugales pourraient entrainer des persécutions ou une atteinte grave de la part de sa belle famille.
L’autre craint d’être exposé à des persécutions de la part des taliban, ainsi que par les membres de l’Organisation Etat islamique (OEI) du fait de son origine hazâra.
Par ailleurs , il risque d’être exposé à des atteintes graves, tout d’abord, en raison de conflit foncier impliquant sa famille, et d’autre part, des membres de la famille de sa seconde épouse, qui le menaceraient en raison d’une relation extra-conjugale.
L’exposition de civils à une menace grave et individuelle (art. 712-1 CESEDA)
Le deuxième fondement sur lequel se basent les requérants pour demander l’annulation de la décision, est l’article L. 712-1 c) du CESEDA, disposant que les civils exposés à une menace grave et individuelle dans une situation de conflit armé interne ou internationale doivent se voir octroyer le bénéfice de la protection subsidiaire.
Ainsi, les requérants M.N. et M.M. évoquent la situation sécuritaire en Afghanistan qui se dégrade, et atteindrait un niveau exceptionnel de violence rendant impossible un éventuel retour leur pays d’origine sans risquer de se voir persécuter.
La demande d’asile en France pour un ressortissant afghan n’est plus automatiquement acceptée : nouvelle position de la CNDA
Sur la demande d’annuler la décision sur fondement de la Convention de Genève, très rapidement les éléments invoqués sont écartés du fait d’un manque de preuves évident de la part des requérants.
La Cour envisage donc l’application des dispositions de l’article 712-1 c) du CESEDA.
Pour ce faire, il est nécessaire de déterminer si le conflit en question provoque des violences aveugles dans la partie du pays où le requérant a établi ses propres intérêts, qui l’exposeraient à de graves menaces personnelles contre sa vie ou sa personne.
Cette logique suit la décision de principe de la CJUE du 17 février 2009 Elgafaji n° C-465/07, comme la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE 7 mai 2012 OFPRA c. M. A. n° 323668 C).
De ce fait, la Cour dans le cas des deux requêtes individuelles, a rendu sa décision conformément à l’article 4 de la directive 2011/95/UE relatif à l’évaluation des faits et circonstances, et aux termes de l’article 10 de la directive 2013/32/UE, relatif aux conditions auxquelles est soumis l’examen des demandes. En se basant sur ces deux directives, la Cour a pris soin d’appuyer sa décision sur des sources d’information publiques et pertinentes disponibles sur l’Afghanistan à la date de la décision, et notamment, des rapports d’information du Bureau européen d’appui en matière d’asile. Par conséquent, la Cour en est arrivée à la conclusion que, si la situation sécuritaire qui prévaut actuellement en Afghanistan se caractérise par un niveau significatif de violence, elle est toutefois marquée par de fortes différences régionales en termes de niveau ou d’étendue de la violence, et d’impact du conflit sévissant dans le pays.
Pour cette raison, le seul fait d’invoquer la nationalité afghane pour la demande d’octroi d’une demande d’asile ne suffit pas à établir le bien fondé de la demande de protection internationale ( CNDA GF 19 novembre 2020 M. N n° 19009476 R, point 14; CNDA GF 19 novembre 2020 M. M. n° 18054661 R, point 13 ).
La Cour précise donc la nécessité de prendre en compte la situation qui prévaut dans la région de provenance du demandeur, afin d’apprécier si cette personne court, dans cette région ou sur le trajet pour l’atteindre, un risque réel de subir des atteintes graves au sens des dispositions de l’article L. 712-1 c) CESEDA.
Il en ressort des sources sur lesquelles se base la Cour, que la province de Panjsher dont est originaire M.N., fait partie des zones les moins affectées par le conflit armé qui sévit en Afghanistan. De plus, la province de Kaboul et celle de Parwan, par lesquelles devra transiter M.N. pour rejoindre sa région d’origine, présentent une situation qui doit être regardée comme « une situation de violence aveugle, mais sans pour autant, atteindre un niveau si élevé qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil renvoyé dans le pays ou la région concernés courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire, un risque réel de subir une menace grave et individuelle, nécessitant que l’intéressé démontre qu’il y serait spécifiquement visé en raison d’éléments propres à sa situation personnelle. » ( CNDA GF 19 novembre 2020 M. N n° 19009476 R, Point 17. ) .
Dans le cas du requérant M.M., la ville d’Hérat où sont établis les centres d’intérêt de ce dernier, connait une situation de violence aveugle du fait du conflit armé en Afghanistan. Pour autant, l’intensité n’est pas telle que toute personne serait exposée, du seul fait de sa présence sur le territoire concerné, à une atteinte grave au sens de l’article L. 712-1 c) CESEDA.
Ainsi, la Cour retient comme raisonnement, dans les deux décisions, que l’évaluation du niveau de violence se fonde sur la prise en compte de critères tant quantitatifs que qualitatifs, devant être appréciés au vu de sources pertinentes à la date de la décision.
Dans les cas d’espèce, la Cour rejette donc les recours, les requérants n’ayant pas justifié avec des éléments de preuve nécessaires qu’ils seraient exposés aux effets de cette violence aveugle.
La demande d’asile en France pour un ressortissant afghan n’est plus automatiquement acceptée : conclusion
Ces décisions présentent une importance particulière puisque la Cour revient sur sa « jurisprudence Kaboul » qui permettait aux demandeurs d’asile Afghans d’obtenir relativement simplement un statut de réfugié, ou à défaut, une protection subsidiaire en France, du fait de la violence générée par le conflit armé en Afghanistan.
Or, la Cour dans les deux requêtes individuelles, affirme dans un premier temps que « la seule invocation de la nationalité afghane d’un demandeur d’asile ne peut suffire à établir le bien-fondé de sa demande de protection internationale au regard de la protection subsidiaire en raison d’un conflit armé. » ( CNDA GF 19 novembre 2020 M. N n° 19009476 R, point 14; CNDA GF 19 novembre 2020 M. M. n° 18054661 R, point 13 ) et continue en précisant que « la violence aveugle prévalant actuellement dans la ville de Kaboul n’est pas telle qu’il existe des motifs sérieux et avérés de croire que chaque civil qui y retourne court, du seul fait de sa présence dans cette ville, un risque réel de menace grave contre sa vie ou sa personne.» ( CNDA GF 19 novembre 2020 M. M. n° 18054661 R, point 14 ) rendant, par conséquent, plus complexe l’octroi d’une protection internationale pour un individu d’origine Afghane.
De ce fait, si selon Didier Leschi, directeur de l’Office de l’immigration et de l’intégration (OFII), il s’agit d’une « évolution vers une harmonisation des jurisprudences des principaux pays européens accueillant des Afghans », en revanche, pour Lola Schulmann d’Amnesty international « cette décision intervient alors même que les civils continuent de payer le prix fort du conflit en Afghanistan ».
Enfin, reste à savoir si la Cour à l’avenir, continuera de suivre cette nouvelle logique, ou préfèrera revenir à la « jurisprudence Kaboul ».
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Me Grégoire HERVET – EXILAE Avocats